Où est-il ce vénérable batracien ? Coup d’œil circulaire sur une salle de bistrot de bon aloi. La rétine focalise sur l’ordre du Mérite Agricole au mur, une hure de sanglier, ou encore les bois d’un cerf. Et au fond de la salle, un chef en cuisine…
Pour un Vieux Crapaud, il n’a ni l’œil torve, ni la voix croassante ou la peau scrofuleuse. Mais Thomas Boutin, Solognot d’origine, sait choisir des grenouilles qui font bondir les amateurs. Elles viennent de la Drôme et sont élevées par le raniculteur Patrice François. Le chef les roule dans la farine avant de les faire rissoler dans une persillade.
Pour le client, le nouage au cou du grand bavoir par la patronne, Tatiana, inaugure une sorte de cérémonial vaudou. Une possession, un pur moment d’oubli, durant lequel, on ne boit ni ne parle, uniquement préoccupé à ne plus laisser un lambeau de chair sur les carcasses… En bons « froggies », on rêverait de faire partager ce moment à Boris Johnson et à David Cameron mais naturellement en les privant de bavoirs et de rince-doigts…
« Hors de France point de salut ! » ne cesse de proclamer le chef. Seule exception : ses escargots de Bourgogne -type Hélix Pomatia- viennent de Hongrie car ce sont, d’après Thomas, les derniers escargots ramassés à la main en pleine nature et qu’il n’est pas question, pour lui, de servir des « rencoquillés d’élevage » fussent-ils français.
Pour le reste, il y a aussi d’autres plats d’une cuisine encore plus canaille comme ses oreilles de cochon confites par le chef avec une gélatine aussi délicate que les cartilages qui se brisent sous la dent comme brindilles sous le pied (11€). Le ris de veau (32€) tendrement croustillant s’avère délicieux.
Idem pour le tartare de Wagyu (19€). Et le patron patriote de rappeler qu’il s’agit d’une race nippone, certes, mais que les spécimens servis chez lui sont élevés en Normandie… C’est aussi du nippon-normand qu’on retrouve sous le buns Poujauran du burger maison recouvert d’une couche de morbier cru… Ouf, la côte de bœuf est de race Salers (32 €).
Pour tenir tête à ces propositions roboratives, une carte des vins bien ramassée et plutôt merloteuse. Notamment un excellent Maucaillou 2013 (28€), fruité comme un bordeaux printanier qui renouvelle le plaisir à chaque gorgée. Il «fonctionne» même avec le riz au lait vanille bourbon très peu sucré. Bien évidemment, il faut l’oublier pour le petit baba de la maison bien imbibé du rhum qu’il faudra prendre le temps de digérer si l’on ne veut pas se mettre à croasser en sortie de table tel un vieux Crapaud…
Le Vieux Crapaud » 16, rue Lauriston 75 116
Tél : 01 73 75 70 10
Du lundi au vendredi midi (12h-14h30) et soir (19h45 – 22h30)
Entrée : 9 €, plats 19€, desserts 8€