Dans une île-Saint-Louis qui perd son âme sous l’effet d’une « Air’n’bization » accélérée accompagnée d’une vague de vrais-faux bistrots, cette brasserie rougeoyante au débouché du pont Saint-Louis suspend la course d’un temps vain. Aux beaux jours, sa terrasse est diablement tentante. Mieux vaut pousser la porte car comme toujours les vrais trésors sont à l’intérieur.

Litanie de chopes, vieux comptoir de bois carré surmonté d’un vieux percolateur majestueux comme une cheminée de transatlantique… Sous oublier l’équipe des garçons sortis d’une carte postale d’un Paris des années trente et qui ont ce caractère d’incarner totalement leur brasserie. Pas besoin de préciser qu’ici la patine n’est pas une lubie de décorateur qui aurait passé un coup de papier de verre sur les murs et les boiseries.
L’histoire du lieu – autrefois baptisé Taverne du Pont Rouge en référence à la passerelle avec l’Ile de la Cité- tient beaucoup à Paul Guépratte. Le grand-père des deux frères gérants d’aujourd’hui a racheté l’endroit en 1953 à un Alsacien nommé Lauer. Il avait auparavant officié dans les cuisines au service de la Duchesse de Windsor. Bien que breton d’origine, le nouveau maître des lieux continuera à débiter chou fermenté et saucisses de francfort. L’ancien résistant saura faire taire sa rancune en embauchant un chef allemand, Otto Wagner, lui-même ancien cuisinier du Maréchal Rommel « suicidé » par les nazis. Otto racontait faire cuire les œufs du « Renard du désert » – le surnom de Rommel – sur le capot brûlant des panzers lors de l’expédition de l’Afrikakorps dans le désert de Libye.

Ce qui ne l’empêcha pas de servir sur les rives plus tempérées de l’île Saint-Louis pendant les années 50 et 60 un défilé de stars américaines du tout Hollywood à commencer par le couple terrible Richard Burton et Elizabeth Taylor. Car pour les « Ricains » la Brasserie de l’Isle-Saint-Louis demeura le spot romantique par excellence. Vade retro nostalgie, aujourd’hui encore, le photographe de Guerre Peter Turnlay,fait jaillir des étincelles de vie qui n’ont rien de posé. Sans oublier de mentionner les jours de matchs du Tournoi des six Nations où les supporters du XV de la Rose ou de celui XV du Chardon en font leur lieu de prédilection. Une tradition qui remonte à des décennies, en souvenir d’un dessin sur le miroir de la brasserie représentant la duchesse de Windsor.
A part cela, tous les jours où la Seine s’écoule paisiblement, la brasserie attire ses vieux habitués qui ont encore leur table attitrée et certains … même leurs chopes. La choucroute garnie (22€), savoureuse comme celle d’une grand-mère Alsacienne fêtant l’armistice de 1918 exerce un sacré magnétisme. Plus craquante à midi, plus moelleuse le soir mais toujours avec cette pointe de genièvre parfaitement dosée. Le cassoulet (22€), autre spécialité de la maison, a aussi ses fidèles.
Mais le chef a d’autres munitions car il sait choisir ses produits comme personne. En témoignent son foie de veau à l’anglaise (28€) avec sa tranche de lard qui le recouvre comme une cuirasse ou le filet de haddock (27€) qui semble avoir été poussé par l’océan dans l’assiette.
Quant aux vins, la Brasserie met en avant quelques quilles alsaciennes signées Léon Beyer et une série des beaujolais signés Dubœuf tel un Moulin à vent Domaine de la Vigne Romaine 2011 ( 29€) qui rend l’option de la ficelle inutile.
Brasserie de l’Isle Saint-Louis
55, quai de Bourbon 75004 Paris
Tél.: 01.43.54.02.59
Ouvert de 12h à 22h30
Fermé le mercredi
Métro : ligne 4 Cité, ligne 1 Saint-Paul, ligne 10 Maubert-Mutualité, ligne 7 Sully-Morland ou Pont Marie