Entre 1781 et 1788, Louis-Sébastien Mercier a arpenté Paris. Il en a tiré son « Tableau de Paris ». Une œuvre dont le révolutionnaire Brissot a pu écrire qu’elle « n’a pas peu contribué à accélérer la Révolution », un parfum de fin de siècle, qui n’est pas parfois sans évoquer le début du nôtre.
«On compte six à sept cents cafés ; c’ est le refuge ordinaire des oisifs, et l’asyle des indigens. Ils s’y chauffent l’hiver pour épargner le bois chez eux. Dans quelques-uns de ces cafés, on tient bureau académique ; on y juge les auteurs, les pièces de théatre ; on y assigne leur rang et leur valeur ; et les poêtes qui vont débuter, y font ordinairement plus de bruit, ainsi que ceux qui, chassés de la carrière par les sifflets, deviennent ordinairement satiriques ; car le plus impitoyable des critiques est toujours un auteur méprisé.
Les cabales pour ou contre les ouvrages s’y forment, et il y a des chefs de parti, qui ne laissent pas que de se rendre redoutables ; car ils vous déchirent un écrivain qu’ils n’aiment pas, du matin au soir : souvent ils ne l’ont pas compris, mais ils déclament toujours ; et il faut que la réputation littéraire essuie paisiblement toutes ces bourrasques.
Dans le plus grand nombre des cafés, le bavardage est encore plus ennuyeux : il roule incessamment sur la gazette. La crédulité parisienne n’ a point de bornes en ce genre ; elle gobe tout ce qu’ on lui présente ; et mille fois abusée, elle retourne au pamphlet ministériel.
Tel homme arrive au café sur les dix heures du matin, pour n’en sortir qu’ à onze heures du soir ; il dîne avec une tasse de café au lait, et soupe avec une bavaroise : le sot riche en rit, au lieu de lui offrir sa table.
Il n’est plus décent de séjourner au café, parce que cela annonce une disette de connoissances, et un vide absolu dans la fréquentation de la bonne société : un café néanmoins, où se rassembleroient les gens instruits et aimables, seroit préférable, par sa liberté et sa gaieté, à tous nos cercles qui sont parfois ennuyeux.
Nos ancêtres alloient au cabaret, et l’on prétend qu’ils y maintenoient leur belle humeur : nous n’osons plus guère aller au café ; et l’eau noire qu’ on y boit, est plus malfaisante que le vin genéreux dont nos pères s’enivroient : la tristesse et la causticité règnent dans ces sallons de glaces, et le ton chagrin s’y manifeste de toute part : est-ce la nouvelle boisson qui a opéré cette différence ?
En général, le café qu’on y prend est mauvais et trop brûlé ; la limonnade dangereuse ; les liqueurs malsaines, et à l’esprit de vin : mais le bon parisien, qui s’arrête aux apparences, boit tout, dévore tout, avale tout.
Chaque café a son orateur en chef ; tel, dans les fauxbourgs, est présidé par un garçon tailleur ou par un garçon cordonnier ; et pourquoi pas ? Ne faut-il pas que l’ amour-propre de chaque individu soit à peu près content ?
On courtise les cafetières : toujours environnées d’hommes, il leur faut un plus haut degré de vertu, pour résister aux tentations fréquentes qui les sollicitent. Elles sont toutes fort coquettes ; mais la coquetterie semble un attribut indispensable de leur métier.
Tapi quelquefois dans le coin d’un café, vous diriez un homme lourd, triste, ennuyeux, qui ronfle en attendant le souper : il a tout vu, tout entendu. Une autre fois, il est orateur, il a rendu le premier des propos hardis, il vous sollicite à vous déboutonner, il interprète jusqu’à votre silence ; et que vous lui parliez, ou que vous ne lui parliez pas, il sait ce que vous pensez de telle ou telle opération.»
Quand Montesquieu voulait faire fermer les cafés.
Montesquieu pourra écrire, dès 1721:
« Si j’étais le souverain de ce pays, je fermerais les cafés; car ceux qui fréquentent ces endroits s’y échauffent fâcheusement la cervelle. J’aimerais mieux les voir s’enivrer dans les cabarets. Au moins ne feraient-ils de mal qu’à eux-mêmes, tandis que l’ivresse que leur verse le café les rend dangereux pour l’avenir du pays ».