Lors du banquet de clôture de chasse à la Bonne Franquette de Montmartre le 25 février, sa noisette de biche au poivre vert frais a fait vriller le palais des convives. Ils ne sont plus guère nombreux à savoir travailler la bécasse comme lui. Quant au chevreuil, il ne se fait pas au sous-vide. «Cela esquinte et compresse les viandes. Avant, quand on recevait les animaux à poil, on les vidait et on les préparait nous-mêmes. » Dans le milieu, « Gaby » Biscay – MOF 1982 dont on dit que ses notes n’ont jamais été égalées, passé par Prunier, le Royal Monceau, le Ritz et la Mamounia- est connu comme un grand loup blanc. De Yannick Alleno à Christophe Bacquié, en passant par Gérald Vaux, chef exécutif de Disneyland et des cadors de la bistronomie, nombreux sont ceux qui ont appris le métier avec lui. Grand coach, ce grand MOF qui a la passion de la transmission, en a aidé plus d’un à le devenir.
Il est d’un temps où l’on passait le bras dans le four en guise de thermostat. Trop chaud ? on laissait les fourneaux ouverts quitte à suer à grosses gouttes devant la rougeur de la fonte chauffée au charbon. A l’époque, les apprentis non contents d’enfiler 60 heures hebdomadaires remboursaient en espèces leurs patrons de leurs charges patronales. Pour les remercier de les former…
Drôle de destin pour ce « charnegou », un terme basque pour désigner ceux qui ont sang du béarnais… Natif de Biarritz, fils d’un Basque, c’est sa mère qui est du Béarn. A l’époque, le potager familial de la ferme biarrote est situé devant le Relais de Parme, le restaurant étoilé de l’aérogare de Biarritz. Chaque matin, il y livre avec son père maraîcher les fruits et légumes de saisons et en ramène les « eaux grasses » ( déchets du restaurant, parures de viandes et autres épluchures) pour nourrir les cochons. «Quand j’avais huit ans, j’ai découvert le spectacle des cuisines, je me suis dit que ce serait là ma vie.» En 1969, à 15 ans, il y fait son apprentissage. Trois ans plus tard, il finit 2ème meilleur apprenti de France. Avant de rempiler pour un an. Payé cette fois-ci. «Mon patron, M.Laporte, était extraordinaire, on l’aurait suivi au bout du monde. Deux fois j’ai travaillé pour lui 24h non stop pour un banquet. »
L’âge d’or du casino de Biarritz… et de ses cinémas pornos
A Biarritz, les journées son longues du fait d’une clientèle espagnole fortunée, montée du riche pays basque de l’autre côté de la frontière. «Ils passaient à table à 15h30 quand les clients français étaient déjà partis. Ils venaient à Biarritz pour le casino … mais aussi pour les trois cinémas pornos de la ville, interdits dans l’Espagne de Franco. Au Café de Paris, que mon patron possédait également, ces clients séjournaient parfois un mois. Et ne choisissaient à chaque repas que les produits les plus chers : caviar, armagnac…»
La violence en cuisine
«On ne m’a jamais frappé. Mais une brigade de cuisine, c’est comme une équipe de rugby. De 8h à 12h30, c’est l’entrainement. Après, c’est le match. Et ce, pendant deux heures. Il faut mettre la pression aux équipes. Quand il y a 120 couverts, il faut un aboyeur, ça veut tout dire. Avant, les clientèles d’affaires arrivaient à midi et repartaient vers 17h après le dernier digestif. C’est terminé. Aujourd’hui, les clients veulent déjeuner en une heure. Ça accroît forcément la pression.
Dans les fourneaux, on rencontre aussi des gens qui n’iront pas au delà d’un certain seuil. Pas la peine de s’énerver, c’est comme ça. D’autres, en revanche, iront beaucoup plus haut. Il faut être toujours proche de son équipe. Saluer chacun le matin, prendre un pot après le service de temps en temps. Et surtout, faire preuve de pédagogie après un coup de gueule. Moi, j’étais plus exigeant avec les bons ou les fils de chefs.»

Le personnel … gros souci français
«La France a un vrai problème de personnel qu’on ne rencontre nulle part ailleurs. Il y a des gens extraordinaires mais d’autres qui ne veulent pas travailler, c’est un malheur. La faute aux politiques d’avoir lâché à chaque élection. Aujourd’hui, qui veut faire deux services ? D’autant que les personnes qui sortent des écoles de cuisine ont entre 21 et 22 ans. Difficile de leur parler comme à des jeunes apprentis en leur demandant de venir le soir ou le dimanche alors qu’ils ont déjà pris le pli des week-ends et des petites amis/ies. Pour faire ce métier, il faut de la passion, être à l’affut, ne pas avoir peur de faire des heures. Mais après on voyage et on apprend tous les jours. Je peux réaliser un banquet thaï ou marocain car j’ai fait le tour du monde.»
Écoles et formation
«Il y a un problème de formation. A côté de très bonnes écoles comme Ferrandi, bien des écoles et CFA ne suivent pas en terme de moyens. Dans beaucoup d’écoles, les professeurs n’ont pas plus d’un an et demi d’expérience alors qu’il faut 10 ans pour faire un bon chef … Bien souvent, on ne met pas assez les étudiants au contact de l’entreprise. Comme juré, j’en en vu de toute les couleurs tel ce jeune qui cuisait un canard à la salamandre m’expliquant que c’était comme ça qu’il fallait procéder …»
Les Sauces industrielles ?
«Quand je rentre dans un restaurant. Je sens en salle si les sauces sont industrielles et en poudre. Si c’est le cas, je m’en vais. »