P.B. A condition que le mouvement ne conduise pas au désordre…
J.F.J. C’est la raison pour laquelle il doit être repensé. A Saint-Emilion, le classement est né en 1955…
P.B. C’était voulu cette date centenaire du classement de 1855?
J.F.J. Forcément ! J’étais à l’époque étudiant à l’Ecole des Vins de Paris. Je ne vivais pas l’événement de la même manière que les vignerons du Saint-Emilionnais et de leur Jurade. Néanmoins cette idée de diviser l’espace en grands crus et grands crus classés avec possibilité de modifications tous les 10 ans avait quelque chose de séduisant, elle ouvrait la porte aux ambitions des non classés.
P.B. N’était-ce pas également un manière élégante de faire la nique aux vins de l’espace nommé Rive gauche , sanctifiés par le classement de 1855 ?
J.F.J. Sans doute… Nul ne peut dire dans quelle mesure et la question n’est pas là. Le principe qui consiste à classer officiellement les crus ne saurait être remis en question. Il n’y a que les amateurs d’embrouillaminis pour prétendre le contraire. Dans le cas qui nous intéresse, le classement de 2012 et ses conséquences judiciaires, la justice a frappé fort. « Prise illégale d’intérêts et 60 000€ d’amende dont 20 000 avec sursis », c’est quand même « du lourd ». Hubert de Bouard, principal accusé, a fait preuve, je le pense, de bon sens en ne faisant pas appel. C’eût été souffler sur les braises de la discorde. Philippe Castéja , propriétaire du Château Trottevieille, un cru classé, poursuivi pour avoir siégé à l’INAO tout en étant propriétaire, a été, lui, relaxé.

P.B. En deux mots, qu’est-ce qui leur fut reproché ?
J.F.J. D’avoir été juge et partie. Je peux comprendre la déception et le ressentiment de ceux qui furent déclassés. Les conséquences peuvent être terribles. En 10 ans, on peut devenir nouveau riche ou nouveau pauvre.
P.B. N’est-ce pas excessif ?
J.F.J. C’est la vérité. Un déclassement entraîne, outre une remise en question de ses façons de travailler, des conséquences douloureuses. Elles affectent le prestige de l’ exploitation…Et les résultats commerciaux. Je connais des viticulteurs à qui cela est arrivé dans le passé. Ils ont peu ou pas protesté, se sont remis au travail et, dix ans plus tard, ont récupéré leur classement. Je ne suis pas de ceux qui veulent la mort du pécheur mais je sais qu’il sera longtemps reproché à Hubert de Bouard, grand maître de la Confrérie, d’avoir profité de sa position « de juge » pour faire passer son château l’Angélus dans les quatre premiers.
P.B. Que proposeriez-vous pour qu’à l’avenir, cessent les suspicions de favoritisme qui ont entaché ce classement de 2012 ?
J.F.J. C’est une question de bon sens, la chose du monde la mieux partagée ai-je appris sur les bancs du lycée. Impératif numéro un : ne pas faire partie, si l’on est propriétaire d’une exploitation à Saint-Emilion, des instances délibératives qui décident des « montées ou des descentes » pour reprendre le vocabulaire des commentateurs sportifs. Uniquement des responsables de l’I.N.A.O. seraient habilités à remplir ces fonctions.En tant qu’administrateur de la Maison des Vins de Saint-Emilion je n’ai jamais cessé et je ne cesserai jamais de mettre en avant cette condition. Elle a le mérite de ne laisser planer aucun doute sur l’intégrité de qui que ce soit. C’est une précaution élémentaire. Elle ne peut que clouer le bec à ceux qui passent leur temps à être en embuscade pour, passez-moi l’expression ! chercher du poil sur les oeufs. Cette précaution n’est tout de même pas insurmontable ?
«Les critères d’appréciation ne sont pas, à l’heure actuelle, uniquement fondés sur la qualité des vins… l’accent est mis à l’excès sur tout ce qui touche à l’apparat…»
P.B. Cela tombe sous le sens, bien sûr. Auriez-vous d’autres observations qui iraient dans le sens d’une réforme des évaluations ?
J.F.J. Les critères d’appréciation ne sont pas, à l’heure actuelle, uniquement fondés sur la qualité des vins. Entrent en jeu d’autres problématiques. Tout le monde peut le comprendre. Et l’admettre. Personnellement je pense que les terroirs devraient être pris en compte plus largement ainsi que l’antériorité des lieux où s’est implantée la vigne, son histoire. En revanche je crois, et ça crève les yeux, que l’accent est mis à l’excès sur tout ce qui touche à l’apparat. Le paraître, l’ostentatoire, prennent le pas sur l’être, sur l’authentique qui, lui, n’a rien à voir avec le faste, l’étalage , le tralala. Mais peut-être que je ne sais pas vivre avec mon temps, non ? Ou alors c’est la voix de ces gens de peu, partis de rien, ceux qui écrivirent la saga de Meymac-près-Bordeaux, qui me soufflent ces propos…
P.B. Personne ne vous croira, si vous l’affirmez, que vous ne savez pas vivre avec votre temps. Le concept d’œnotourisme que vous avez mis en place en est la preuve.
J.F.J. Il s’agit là de tout autre chose qui n’a qu’un lointain rapport avec les problèmes rencontrés par le classement des crus de Saint-Emilion. L’œnotourisme me place en contact direct avec le consommateur. Ce dernier fait l’effort de venir à ma rencontre.Je me dois d’être à son écoute, je me dois de l’informer et si possible d’établir avec lui une sorte de complicité bachique. Et si cette complicité le pousse à établir d’autres rapports avec d’autres vignerons, d’autres domaines, ce sera tant mieux pour le vin. C’est un autre type de synergie qui se met en place, différent de celui qui est créé à partir du classement des vins de Saint-Emilion.
P.B. A vous écouter nous aurions plutôt l’impression que ces deux synergies se complètent et que celle, fondée sur l’œnotourisme et dont vous faites état, devrait avoir de plus en plus de poids dans l’évaluation de ce fameux classement dont nous nous entretenons. Ne pensez-vous pas ?
J.F.J. Il va falloir que j’y réfléchisse.
P.B. Vous y avez déjà songé ? Non ?
J.F.J. Je serais un sacré menteur si je répondais par la négative. Ce que j’espère, et de tout coeur ? Que ceux qui entretiennent la vie de ce fameux classement, introduisent, au niveau de l’évaluation, des critères qui permettront plus d’équité et de justice. Il y va de la crédibilité du classement des vins de Saint-Emilion.